COVID, protocoles sanitaires et enfants présentant des troubles du neurodéveloppement (notamment troubles du spectre de l’autisme)

COVID, protocoles sanitaires et enfants présentant des troubles du neurodéveloppement (notamment troubles du spectre de l’autisme)

Partager sur les réseaux sociaux ↓

La covid a fortement impacté tous les champs de la société.

En tant que pédiatre travaillant dans un cabinet de pédiatrie générale et dans le médicosocial auprès d’enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA)  je me permets de vous partager  ce petit retour d’expériences et de réflexions (je précise qu’il ne s’agit pas d’une étude scientifique).

Je m’exprimerai en 4 temps :

  • Répercussions de l’épidémie et des mesures de confinement sur les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement (TND) et notamment des troubles du spectre de l’autisme (TSA)
  • Répercussions du port du masque pour les enfants avec TND
  • Inquiétude du risque d’augmentation de troubles du neurodéveloppement suite aux protocoles sanitaires
  • Atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant porteur de TND suite aux protocoles sanitaires

 

1.Répercussions de l’épidémie et des mesures de confinement sur les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement. Réorganisation du travail des professionnels du médicosocial.

Par chance la covid n’est pas une maladie pédiatrique (informations de la Société française de pédiatrie). Les enfants ne sont pas sensibles au virus ; ils sont peu malades et peu contagieux (ce qui ne signifie pas qu’ils ne le sont pas du tout, et c’est ce petit peu qui a conduit les sociétés savantes de pédiatrie à demander le masque pour les enfants dès l’âge de 6 ans tant que le virus circule beaucoup…). Il a été décrit un sur-risque de formes graves chez l’adulte trisomique ; ceci n’a pas été décrit chez l’enfant trisomique ou présentant d’autres TND.

Les enfants ne sont pas sensibles au virus; ils sont peu malades et peu contagieux

Le premier confinement très dur avec fermeture des écoles et d’une très grande majorité des lieux de prise en charge de ces enfants a été une épreuve terrible. Les enfants ont régressé dans leurs apprentissages, tellement difficiles à acquérir. L’enfermement a entrainé des troubles graves du comportement chez certains enfants ; et a pu donner lieu à des violences intrafamiliales, surtout en cas de précarité (logement insalubre et exigu). Notre ministre chargée du handicap Sophie Cluzel a proposé des aménagements des mesures de confinement (pas de limitation de sortie pour eux) mais ce message a insuffisamment circulé. Et ou sortir quand tous les parcs sont fermés ? Certaines associations de parents ont demandé à leur ville d’ouvrir les parcs à certains horaires aux familles avec TND ce qui a permis une bouffée d’oxygène pour quelques familles. La gestion du confinement a été une terrible épreuve pour les parents d’enfants avec TND ce qui a pu se répercuter sur leur propre santé. Je pense que ce n’est pas un hasard si 3 papas de mes patients avec TND ont fait des formes sévères de covid (ce qui a entrainé le décès pour 2 d’entre eux et le 3ème est toujours hospitalisé à ce jour).

Les enfants et parfois les parents ont développé une peur panique du virus et j’ai eu beaucoup de mal à les rassurer. Certaines familles ne souhaitaient pas profiter de leur sortie quotidienne. Beaucoup n’ont pas repris l’école lors du premier déconfinement alors qu’il était prévu qu’ils soient accueillis à titre prioritaire (mais avec des protocoles difficilement supportables).

Certains patients autistes étaient ravis de ne plus sortir et de limiter les interactions sociales, le trouble des interactions sociales étant la base de leurs particularités. En fait le confinement a renforcé leur mode de fonctionnement. Ravis aussi de faire leurs prises en charge en mode virtuel étant donné leurs appétences pour les écrans.

Lors du 2ème confinement les écoles sont restées ouvertes ; les gymnases et piscines ont fermé. La ministre de la santé a autorisé que les gymnases restent ouverts pour les personnes en situation de handicap. Malheureusement cette possibilité n’a pas été beaucoup diffusée et je pense que peu de villes se sont données la peine d’organiser cela. Certaines prises en charge ont malheureusement été rebasculées en virtuel pour répondre aux consignes de télétravail. L’absentéisme des professionnels (malades ou confinés car sujets contact) a eu de lourdes conséquences chez les enfants avec une déscolarisation d’autant plus importante que les AESH en arrêt maladie ne sont pas remplacées; et quand l’AESH n’est pas là l’enfant ne peut pas être accueilli à l’école ; et si le professeur est malade et qu’il est remplacé ou que l’enfant doit aller dans une autre classe cela sera difficile à accepter pour ces enfants présentant une intolérance au changement.

Comment ont travaillé les professionnels du médicosocial dans ce contexte ?

La fermeture des écoles a rendu impossible la possibilité d’intervenir à l’école pendant le premier confinement. Des prises en charge en mode virtuel ont été proposées quand l’âge et le profil de l’enfant l’ont permis. Chaque fois que les familles l’ont accepté, des prises en charge à domicile ou à l’extérieur ont été proposées. Les professionnels ont été protégés par le masque et les gants au début puis le gel hydro alcoolique. Les professionnels à risque de forme grave de covid sont restés en télétravail. Pour ceux qui sont allés sur le terrain certains ont contracté la covid probablement dans le cadre de leur travail mais pas de formes graves. Les professionnels du médicosocial qui travaillent dans les UEMA ou UEEA (unités d’enseignement) ou les IME sont particulièrement exposés car ils accompagnent toute la journée des enfants qui ne peuvent porter de masques, y compris en partageant leur repas, et certains enfants ont besoin de soins de proximité étant donné leurs difficultés. A l’heure où j’écris ce texte la vaccination a été proposée à tous les professionnels du médicosocial.

 

2.Répercussions du port du masque chez les enfants avec TND.

Le port du masque est difficile à supporter pour tout le monde. Je ne reviendrai pas ici sur la discussion concernant son efficacité (ou non !); je souhaite discuter de ses effets indésirables majorés pour les enfants en  situation de TND.

D’une part le masque rappelle en permanence à l’enfant que l’on est en période de grave crise sanitaire alors que l’enfant est peu sensible au virus, peu malade et peu contagieux. Cela va donc renforcer ses angoisses et son absence de motivation pour les interactions sociales alors qu’il est important pour lui d’arriver à sortir de sa bulle et d’avoir envie de communiquer.

D’autre part la difficulté pratique à utiliser le masque est majorée du fait des difficultés de compréhension et de motricité fine, augmentant le risque d’autocontamination et d’inefficacité du masque.
Les enfants avec TND ont souvent des particularités sensorielles qui peuvent entrainer des difficultés majeures de tolérance.

Les effets indésirables décrits dans de nombreuses études en population pédiatrique générale risquent d’être majorés et d’entrainer un véritable cercle vicieux: céphalées, fatigue, dépression, majoration des comportements problèmes, refus scolaire.

Certains enfants autistes sont très contents d’avoir un masque car cela renforce leur envie de s’isoler du monde ; ils en sont devenus dépendants et ne veulent plus l’enlever.

Quand le port du masque est devenu obligatoire pour les enfants dès l’âge de 6 ans le 2 novembre 2020 notre ministre du handicap Sophie Cluzel a donné la possibilité aux enfants présentant un TND de bénéficier de la dérogation de l’obligation du port du masque, sur certificat médical. J’étais soulagée pour ces enfants (et consternée pour les autres !). Mais cette information a très peu circulée, aucun message spécifique n’a été envoyé aux médecins ou aux parents à ce sujet ; l’éducation nationale n’a pas communiqué (et a elle-même été très mal informée à ce sujet), la MDPH non plus. Les parents du service du médico-social ou je travaille ont été informés par la directrice, et ils pouvaient me solliciter pour me demander le certificat s’ils le souhaitaient. Dans mon cabinet c’est au hasard des consultations que j’ai informé les parents et les enfants de cette possibilité.

Des parents m’ont dit que dans certains IME le masque est obligatoire pour les enfants dès l’âge de 6 ans consternant !

J’ai donc fait beaucoup de certificats de non obligation du port du masque. Mais cela m’a valu des reproches de la part de certaines directrices, estimant que mon certificat mettait en danger la santé des enseignants et de l’AESH.  Mon sang n’a fait qu’un tour, outragée de l’absence de reconnaissance de ma prescription, et de l’absence de considération pour l’intérêt suprême des enfants qui n’ont pas besoin d’être protégés puisqu’ils sont peu sensibles au virus. Les enseignants à risque peuvent être en télétravail ou porter un masque FFP2. Les AESH à risque peuvent porter un masque FFP2. (Et je le rappelle les enfants sont peu contagieux.)

Mais pour les enfants bénéficiant de certificats et allant à l’école sans masque cela n’est pas simple. Cela les marginalise et met en avant leur différence. Ils sont (d’après de nombreux témoignages) stigmatisés, isolés au fond de la classe, considérés comme des « pestiférés », rejetés par leurs camarades. A tel point que souvent ils finissent par demander à leurs parents de leur redonner un masque !

enfant triste covidPar ailleurs l’enfant avec TND est très en difficulté du fait du port du masque du professionnel (enseignant ou AESH ou soignant) qui l’accompagne. Comment apprendre à parler quand on ne voit pas les lèvres de l’adulte ? Comment progresser dans la gestion des émotions quand on ne voit que les yeux de l’adulte ? Malheureusement le masque inclusif (transparent) ne résout rien car il est difficile à supporter pour le professionnel (beaucoup plus de buée) et pour l’enfant (déforme le visage).

Avec l’arrivée des virus variants plus contagieux et le durcissement des protocoles sanitaires certains directeurs et enseignants et médecins scolaires refusent maintenant les enfants avec TND qui ne portent pas le masque et la situation devient tout simplement insupportable.

 

3.Risque d’augmentation des troubles des apprentissages suite aux protocoles sanitaires

On assiste depuis de nombreuses années à une augmentation exponentielle mondiale du nombre d’enfants présentant un trouble des apprentissages; les causes de cette « épidémie » ne sont pas identifiées et sont vraisemblablement multiples. On a décrit le syndrome d’exposition aux écrans (chez des enfants très jeunes exposés de façon massive aux écrans) en grande partie réversible avec le sevrage des écrans. Dans ma pratique je dépiste des enfants présentant ce syndrome. Je donnerai l’exemple d’une fillette ayant débuté l’école maternelle en septembre 2019, avec beaucoup de difficultés. La psychologue scolaire conseille aux parents le sevrage des écrans. Ce qui est effectif en janvier 2020. La Maman m’explique qu’elle a alors fait beaucoup de progrès. Arrive le confinement de mars, l’arrêt de la socialisation de l’enfant, la fermeture des parcs, la reprise des écrans, l’impossibilité de la mise en route du suivi nécessaire…l’enfant régresse très vite et c’est une perte de chances énormes pour cette enfant, elle a vraiment basculé dans le champ du handicap..il est tellement indispensable de prendre soin du cerveau de nos enfants..

Je n’ai pas de chiffre récent au niveau national mais je vois le quotidien de mon activité et de celle de mes collègues, et en parallèle l’absence de psychologues et d’orthophonistes disponibles, l’absence de possibilités de prise en charge libérale non remboursée pour des raisons économiques et je suis paniquée.

 

4.Atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant présentant des TND

Toute cette période bafoue quotidiennement l’intérêt suprême de l’enfant. C’est le cas notamment avec l’obligation du port du masque dès 6 ans. Cette semaine j’ai entendu le summum :

un de mes patients autistes sévère est pris en charge en Belgique faute de place en France. Il vient voir régulièrement sa famille en France. Chaque fois qu’il repart il doit faire un test PCR covid en France. Arrivé en Belgique on lui refait un test et on le confine 7 jours dans sa chambre. Au bout de 7 jours on lui refait un test. Il faut que les 3 tests soient négatifs pour qu’il ait le droit de sortir de sa chambre.

J’appelle le médecin en Belgique qui m’explique calmement que c’est le protocole… et que ce sera comme ça tout le temps jusqu’à ce qu’il se fasse vacciner. Il a 16 ans…on m’explique aussi que c’est pareil dans les Ehpad…Je suis sans voix.

Je propose que les professionnels et les parents d’enfants autistes demandent un rendez-vous à Sophie Cluzel notre ministre du handicap pour discuter des difficultés spécifiques du port du masque chez les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement. Peut-être faire une lettre ouverte ?

 

Dr Isabelle Titti

Partager

Partager sur les réseaux sociaux ↓