Je suis psychologue, psychologue spécialisée en développement de l’enfant, je m’interroge
depuis plusieurs années sur cette « maltraitance invisible » envers les enfants.
Cette maltraitance cautionnée par nos institutions, conseillée par des professionnels de l’enfance et banalisée par tous ceux et celles qui la pratiquent sous prétexte de remplir leur rôle d’éducateur.
Les parents, les auxiliaires de puériculture, les enseignants, les directeurs de crèches d’écoles, les pédiatres, les sages-femmes, les animateurs, les éducateurs, les grandsparents, les baby sitters, les psychologues, les policiers… Tous, participent à cette extraordinaire banalité de la maltraitance sans même le savoir, sans même s’en douter la
plupart du temps, sans même le vouloir bien souvent.
Mais de quoi parle-t-on ? C’est quoi la maltraitance ? Posez-vous un instant la question avant de continuer cet article : pour vous c’est quoi ? Quelle est la scène que vous vous représentez lorsque vous entendez le mot « maltraitance » ? ( fermez les yeux et prenez le temps vraiment)
Pourquoi nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur ce qui est maltraitant ou non ?
Certaines scènes semblent tout de même faire consensus. Lorsqu’il s’agit d’un enfant défiguré par les coups, violé… L’horreur est absolue, elle est indiscutable. Deux critères semblent alors permettre d’identifier la maltraitance : l’acte est brutal et la violence a laissé des traces visibles sur le corps de l’enfant.
Mais qu’en est-il lorsque les actes ne laissent pas de traces ? Lorsque les scènes ne font pas de bruit ? Lorsque l’enfant ne se plaint pas ? Lorsque l’adulte dit à l’enfant que c’est pour son bien ? Lorsque des professionnels revendiquent certains actes comme étant éducatifs ou médicaux ? Lorsque le gouvernement dit que certains actes envers l’enfant sont obligatoires pour protéger les grands-parents ou retourner à l’école ? Lorsque l’enfant semble « consentant » ? Lorsque l’on est persuadé que certains actes permettent à l’enfant d’apprendre à gérer ses frustrations et ses émotions…et de poser les limites. Lorsque les dégâts ne seront visibles que plus tard ? Lorsqu’ils ne seront « que » psychologiques ? Et que de toutes façons on n’est pas sûr des conséquences et puis
« l’enfant s’adapte bien à tout ça », et puis au final « on n’en est pas mort » et nous aussi après tout on l’a vécu ou bien on a connu pire…
Je vous parle des punitions, de la mise à l’écart, des attouchements sexuels, je vous parle des non-dits, des regards malsains et vicieux, je vous parle des cris de l’adulte, des menaces, des fessées, je vous parle d’enfants qui portent un masque 8 heures par jour et à qui on enfonce un écouvillon de 15 cm dans le nez et autant de fois qu’il le faut, pour pouvoir aller à un anniversaire, retourner à l’école ou voir des grands-parents et même lorsqu’ils n’ont aucun symptôme, je vous parle d’enfants qu’on oblige à faire la sieste alors qu’ils n’en ressentent plus le besoin, je vous parle des bébés qu’on laisse pleurer seuls, je vous parle d’un enfant dont on se moque s’il exprime du chagrin, je vous parle d’enfants qu’on force à finir leur assiette, je vous parle des punitions données aux enfants parce qu’ils veulent juste respirer quelques secondes librement et faire partir la buée de leurs lunettes… Je vous parle d’actes quotidiens mais je vous parle aussi d’actes isolés. Je vous parle de privation d’affection, je vous parle des protocoles qu’on applique et auxquels on ordonne à l’enfant d’obéir parce que ce sont tout simplement les ordres. Je vous parle de la douche froide pour « calmer » soit disant la colère d’un enfant. Je vous parle de nous, de nous parents, de nous grands-parents, de nous professeurs, de nous docteurs….
Encore une fois, dans ce descriptif chacun validera ce qui résonne comme de la maltraitance pour lui et s’offusquera très certainement que certains actes soient mis sur le même plan que d’autres… Pour une minorité quand même, toute cette énumération est clairement de la maltraitance.
Mais alors c’est quoi la maltraitance ?
Le problème vient de là, tout est là dans la définition même de ce mot. Dans la représentation de ce mot pour chacun.
À chacun sa définition alors ? À quoi, à qui s’en remettre pour savoir ce qui est maltraitant ? Au dictionnaire ? À notre degré d’empathie ou du supportable devant certaines scènes certains actes ou discours ? À notre propre histoire ? À ce professionnel ? À ce juge ? À l’Aide sociale à l’enfance ?
Est-ce à chacun de placer le curseur de ce qu’il ou elle accepte de subir ou de faire subir à l’autre, à son propre enfant, à son élève, à son petit patient ?
Quelle référence avons-nous pour juger de ce qui est bon pour l’enfant ? Notre propre enfance ? Les dernières recherches en neurosciences ?
Et pour chacun d’entre nous, comment faisons-nous pour savoir si un acte est maltraitant ou non ? Et quand décidons-nous d’intervenir ou de changer dans l’intérêt de l’enfant ?
Prenons le temps chacun, chacune d’y réfléchir.
Où est la limite pour chacun de nous dans notre manière de traiter un enfant ? La maltraitance envers l’enfant émane-t-elle toujours d’une intention de nuire ou peut-elle apparaître aussi lorsqu’on veut faire les choses pour le bien de l’enfant ?
Alors c’est quoi la maltraitance ? Et si c’était bien plus que ce que l’on pense, et si on voyait plus large dans ce mot et qu’on ouvrait notre cœur.
Ne pensez vous pas que la réponse se trouve tout simplement dans les yeux de nos enfants ? de nos élèves de nos patients, dans leurs réactions de peur, dans leurs tentatives de révolte, dans leur repli sur soi, dans leur devenir… Toutes nos actions ont évidement des conséquences sur le développement de l’enfant. Observez leurs réactions et vous lirez dans chacun de leur comportement et manifestation l’impact de ce que nous leur faisons vivre à chaque instant.
Lorsque je demande aux adultes (parents, professionnels) de me dire ce qu’ils souhaitent développer comme qualités, comme valeurs chez l’enfant, là tout le monde est d’accord. Et pour vous ? Prenez, là encore, deux minutes maintenant pour penser à ce qui est essentiel pour vous de transmettre à un enfant.
Je suppose que c’est : le partage, l’empathie, l’esprit critique, l’estime de soi, le discernement, le sens des responsabilités, la gestion de ses émotions, la capacité à pardonner, l’autonomie, la capacité d’entreprendre, la bienveillance, la générosité, le respect de soi/de l’autre, la clairvoyance…
Pour transmettre ça, les adultes que nous sommes utilisent certaines techniques : menaces, mise au coin, punition, culpabilité, critique, intimidation, stigmatisation, jugement, privation, cris, soumission, humiliation, contrainte…
Lorsque ces actes se répètent au cours de l’enfance, ils communiquent des messages émotionnels qui laisseront des traces psychiques et joueront un rôle sur les prises de décisions de ces futurs adultes, sur leurs actions, leur vision du monde et sur leur personnalité. Mais en aucun cas ces « techniques « ne développeront de belles valeurs humaines. L’adulte qu’il deviendra aura appris à répondre aux attentes, à s’adapter à toutes situations même les plus inacceptables mais il sera meurtri à l’intérieur, dévorer parfois par l’angoisse et ce terrible manque de confiance en soi et en l’autre.
Si vous saviez comme ces enfants ou ces adultes que j’écoute en thérapie chaque jour sont marqués à vif, parfois traumatisés lourdement par ce que notre société semble trouver banal ! Un mot, une phrase, un regard, une punition, une humiliation, des cris, des discours, des accusations, une indifférence à une souffrance, à une émotion, une absence de visages, d’expression, une moquerie… peuvent pourtant avoir un impact terrible sur le
développement de l’enfant. Il s’agit là d’une extraordinaire banalisation de la maltraitance en France. Oui « maltraitance » parce que c’est ça la maltraitance, c’est tout acte qui entrave le bon développement global de l’enfant et altère son potentiel parfois pour toujours ; c’est tout acte qui le fait se sentir impuissant et vulnérable face à nous. Si vous doutez encore relisez tous les actes que je vous ai énuméré en imaginant que c’est un
patron fatigué qui fait vivre ça à ses salariés ( mise au coin, fessées, cris, gifles…) ou bien un époux qui fait vivre ça à sa femme ( la forcer à finir son assiette, la mettre sous la douche froide si elle est trop en colère, l’ignorer lorsqu’elle pleure toutes les larmes de son corps…). La société ne le tolérerait pas ! L ‘enfant lui, serait il un sous-humain ? Il ne faudrait surtout pas nous culpabiliser de notre manière de traiter cet être si fragile ? Il ne faudrait surtout pas nous accuser de mal le traiter ?
Et vous ? Vous souvenez-vous d’avoir été blessé dans votre enfance ? Ces actes, ces mots sont peut-être encore présents en vous. Peut être même qu’en ce moment même, vous même, vous vous sentez maltraités. Peut être qu’en ce moment même dans votre vie quelqu’un vous maltraite.
Mais alors, pensez-vous vraiment que l’éducation, une situation sanitaire, une crise ou la peur de mourir puisse justifier qu’on maltraite un être humain? Nos enfants seront marqués à vie par tout ce que nous leur faisons subir.
La Convention Relative aux Droits de L’Enfant, stipule que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Alors comment faire pour éviter toute maltraitance ?
Il est important d’élever les enfants avec des règles de protection parce qu’elles sont sensées, justes, fermes, en général scientifiques, prononcées avec bienveillance. Elles sont cohérentes et stables dans le temps, elles enseignent quelque chose à l’enfant et l’adulte est vu comme un guide (Par exemple : « la télé, c’est mauvais pour ton cerveau, je dois te protéger mon chéri, donc je ne peux pas te laisser la regarder »). En revanche les règles de
domination sont injustes, arbitraires, sans fondement, l’enfant apprend uniquement la soumission à l’autorité, une autorité écrasante et menaçante (« Si tu ne te forces pas à manger ce qui est dans ton assiette, tu ne regarderas pas la télé, c’est moi qui décide ! »).
Il est nécessaire d’apprendre à l’enfant à discriminer ces règles, il doit être autorisé à remettre en question les règles de domination et à respecter les règles de protection. Et on doit l’aider à trouver les ressources nécessaires pour modifier un comportement qui causerait du tort au lieu de le punir. (« Gabriel, je sens que c’est un peu difficile pour toi d’être en groupe ce matin, je t’invite à aller dans le coin lecture et à choisir un livre qui t’apaisera ou à dessiner… Et reviens avec nous dès que tu te sentiras prêt et détendu ou as-tu besoin de quelque chose en particulier ? », Ensuite grâce à cette attitude bienveillante de la part des adultes, de lui même l’enfant sortira du groupe par exemple pour aller se ressourcer et reviendra dès qu’il se sentira mieux. Plutôt que de reprocher à l’enfant ses agissements en le punissant, ce qui risque de le stigmatiser et de l’enfermer dans une chaîne de comportements dont il n’arrivera plus à sortir, apprenons-lui à repérer ses besoins et à se ressourcer.
Attention : certaines règles de domination sont déguisées en règle de protection pour mieux dominer l’enfant, il s’agit de perversion et les conséquences sont terribles car l’enfant porte longtemps en lui un sentiment de culpabilité alors même qu’il a été maltraité. Prenons un exemple d’actualité pour mieux comprendre. Imaginez un enfant qui baisse quelques secondes son masque parce qu’il se sent étouffer et commence à avoir de terribles maux de tête. Son enseignant lui dit qu’il risque de tuer ses grands-parents s’il ne met pas le masque. Imaginez que les grands-parents décèdent par la suite, et peu importe de quoi ils décèdent. L’enfant pensera que c’est de sa faute parce qu’il n’a pas respecté une règle de protection sauf qu’il s’agissait en réalité d’une règle de domination déguisée en règle de protection (le port du masque sur une personne asymptomatique est inutile d’après l’OMS et notre gouvernement décide de fermer les écoles malgré le port du masque). En revanche, il s’agit bien de maltraitance puisqu’aujourd’hui on sait que ce port du masque 8h par jour crée de nombreux dommages physiologiques et psychologiques et qu’il est donc normal que l’enfant ressente le besoin de respirer librement. Respirer est un droit inaliénable et surtout vital.
Rajoutons qu’une règle de domination implique que l’on enseigne à l’enfant qu’il doit obéir à l’adulte et peu importe ce que l’adulte lui demande, par ce fait on le met évidemment en danger et on le rend vulnérable puisqu’il ne dira jamais ‘non’ à un adulte même s’il le perçoit malveillant.
Apprenons à élever nos enfants uniquement avec des règles de protection et tous ensemble mettons fin à cette extraordinaire banalisation de la maltraitance et faisons le choix de faire autrement. Connectons-nous à ce que ressentent les enfants à chacune de nos actions et à ce que nous leur enseignons. Chaque situation du quotidien, chaque réponse adaptée de la part de l’adulte est une énorme opportunité d’apprentissage pour l’enfant.
L’incapacité de l’adulte à repenser les conséquences de ses actes sur le développement de l’enfant le conduit à ne jamais y voir de la maltraitance. Alors prenons le temps de réfléchir à ce que nous leur faisons vivre, mettons nous à leur place, pensons aux conséquences de chaque mot et de chacune de nos décisions. Sommes-nous tous sûrs de bien mesurer ces conséquences sur eux ? Maintenant et sur le long terme ?
Plus que jamais, en cette période de crise sanitaire, prenons soin d’eux. Nous sommes responsables d’eux et nous serons tenus responsables de toute la maltraitance que nous imposons et cautionnons aujourd’hui.
Et nos petits vieux dans les Ephad ne vivent-ils pas eux aussi ces mêmes actes de maltraitance ? Le plus effrayant dans tout ça c’est qu’aucune institution ne semble aujourd’hui défendre les plus vulnérables. Qui nous protège ? Si ce n’est plus nos parents?
Si ce n’est plus nos institutions, si ce n’est plus notre gouvernement ? Sommes nous tous devenus vulnérables et sans protection au dessus de nos têtes ? A qui pouvons nous encore faire appelle lorsque l’on souffre ? Qui peut encore entendre tous les cris de S.O.S et intervenir pour nous redonner le droit d’être bien traité ? Aucune cause ne doit justifier qu’un être humain maltraite un autre être humain sauf qu’aujourd’hui la maltraitance se fait sous ordonnance.
Sonia Delahaigue